La grève qui débute le 13 février 1949 à Asbestos, au Québec, figure parmi les événements dont les répercussions s'étendent bien au-delà des faits immédiats. Comme Pierre Trudeau l'écrira plus tard, « le drame d'Asbestos annonçait violemment l'avènement de temps nouveaux. »
Au moment de la grève, le premier ministre Maurice Duplessis et son parti de l'Union Nationale exercent un contrôle absolu sur la province. Celui qu'on surnomme « le Cheuf » se perçoit comme un patriarche et considère les citoyens comme ses enfants. Ceux qui le soutiennent bénéficient de ses faveurs; ceux qui s'opposent à lui sont ignorés. Même quand il dépasse les bornes, il a un talent particulier pour se racheter par un grand discours ou un grand geste. Surtout, il est passé maître dans l'art typiquement canadien de gagner le soutien de sa province en vilipendant Ottawa.
S'il y a une chose que Duplessis ne peut supporter, c'est bien le « changement ». Or, sa toute-puissance est sur le point d'être mise à l'épreuve pour la première fois dans l'obscure petite ville minière d'Asbestos.
En décembre 1948, s'amorce la négociation de la convention collective qui doit entrer en vigueur en 1949. Les mineurs présentent six demandes de base, notamment un salaire horaire porté à un dollar, la sécurité syndicale, un régime de pension et des mesures visant à contenir la progression de la silicose, une maladie pulmonaire due à l'inhalation de la poussière d'amiante. Début février, les négociations arrivent à une impasse et une loi oblige les deux parties à se soumettre à un arbitrage. C'est de bon augure pour la compagnie, puisque le gouvernement choisit immanquablement des arbitres favorables aux entreprises.
La grève de l'amiante de 1949 au Québec est l'une des plus violentes dans l'histoire des relations de travail au Canada (avec la permission du Montreal Gazette).
Le litige attire de Montréal de nombreux activistes qui appuient les travailleurs. L'un d'eux, le militant syndicaliste Jean Marchand, prononce, le 13 février 1949, un discours enflammé qui incite les travailleurs à s'écrier : « On veut la grève! » Au début, le débrayage prend une allure de vacances, alors que les gens vont et viennent au son des violons et accordéons.
La réaction du premier ministre ne se fait pas attendre. Le 23 février, il déclare la grève illégale et déploie un détachement de la police provinciale. Pendant deux mois et demi, les grévistes gardent leur calme. Cependant, comme le Québec fournit 85 % de l'amiante extraite dans le monde entier, les dirigeants de la Johns-Manville, compagnie qui appartient à des intérêts américains, deviennent nerveux et se mettent à embaucher des ouvriers de remplacement. La police commence à patrouiller activement les environs et à menacer les mineurs. De leur côté, les travailleurs installent des barrages pour empêcher le passage des briseurs de grève (appelés les scabs). Le 14 mars, une explosion survient sur la voie ferrée qui mène à l'usine et, quelques jours plus tard, un groupe de grévistes enlève un représentant de la compagnie et le passe à tabac.
À l'usine, les policiers se rassemblent à la hâte pour briser les lignes de piquetage. Ils attaquent les grévistes au gaz lacrymogène et tirent des coups de semonce en l'air. Les ouvriers sortent les policiers de leurs voitures et les rouent de coups les laissant inconscients. Le matin du 6 mai, un corps de police fortement armé entre dans la ville, arrête plusieurs hommes et les frappe. « Ça m'a dégoûté de voir ça! », raconte un photographe du Time (la grève fait maintenant les manchettes internationales). La brutalité de la police provinciale devient alors le principal enjeu de la grève. Le journaliste Gérard Pelletier appelle ces policiers « les troupes d'élite d'Hitler ».
Duplessis s'en prend aux dirigeants syndicaux; ils les traitant de « saboteurs » et d'« agents subversifs ». Or, voilà que même l'Église conservatrice est sensible à la cause des grévistes; c'est elle qui apporte le plus gros du soutien aux familles privées de ressources. Lorsque l'archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, prend ouvertement parti en faveur des grévistes, Duplessis l'exile à Vancouver. En juin, l'archevêque Roy intervient en tant que médiateur et on parvient enfin à un accord le 1er juillet.
La grève continuera à jouer un rôle crucial dans l'esprit des intellectuels québécois au cours des années qui mènent à la Révolution tranquille. Elle pousse beaucoup de gens à remettre en question le type de nationalisme qui est la marque du gouvernement conservateur et antisyndical de Duplessis. Elle offre aussi leur première tribune aux Trudeau, Marchand et Pelletier, qui joueront plus tard des rôles marquants non seulement dans la politique du Québec, mais aussi dans celle du Canada.